Ericka Hart compte parmi les personnalités que je suis assidument sur les réseaux sociaux depuis quelques années déjà. Je l’ai découverte sur une de ses nombreuses photos où elle arbore fièrement sa poitrine dénudée.
Son parcours m’a profondément inspirée et j’espère qu’il vous inspirera vous aussi.
Avant de vous livrer les 6 leçons à tirer de son parcours, une courte présentation s’impose.
Ericka Hart est une experte en éducation sexuelle, professeure à la Columbia School of Social Work, et modèle. Ayant eu recours à une double mastectomie (l’ablation des deux seins dans le cadre d’un traitement contre le cancer), elle s’est fait connaître en tant que militante pour la représentation des personnes noires, queer*, et la sensibilisation au cancer du sein.
Son cancer du sein lui a été diagnostiqué en 2014, alors qu’elle avait 28 ans et s’apprêtait à se marier avec sa partenaire de l’époque, après 7 ans de vie commune. La chimiothérapie suivie d’une double mastectomie a bouleversé son rapport au corps, à la sexualité et à l’identité de genre.
Non, la poitrine n’est pas que sexuelle
Ericka s’est fait connaître en grande partie par ce qu’elle nomme « l’activisme topless », soit le fait d’exposer sa poitrine dénudée comme acte militant, notamment pour sensibiliser le public à la lutte contre le cancer du sein, et favoriser la représentation des personnes noires dans ce domaine.
Mais pas que.
C’est notamment lors du festival Afropunk, en 2016, grâce aux photographies où elle y apparaît seins nus, que la popularité d’Ericka a vu le jour. Pour Ericka, cet acte était un moyen de se libérer – « j’étais fatiguée que mon corps soit malmené par les médecins et les infirmières » – mais également pour être vue, pour que son combat gagne en visibilité.
Sa démarche vise également a désexualiser la poitrine : pourquoi un corps féminin ne pourrait-il pas être exposé sans t-shirt, à l’instar des torses masculins dénudés qui choquent généralement bien moins?
Et pour cause, ses seins lui semblaient – inutilement – sexualisés.
Concernant le rapport aux seins et à l’identité de genre, Ericka a pu déclarer : « je n’ai jamais considéré mes seins comme ma féminité », ajoutant qu’elle ressentait plutôt son identité définie par sa bouche, sa peau, ses cheveux, et ses fesses.
Néanmoins, elle ne cache pas que sa double mastectomie a suscité des questions quant à sa féminité, son désir d’enfants et d’allaitement.
Avant, elle ne percevait ses seins que comme des attributs sexuels, et non de féminité.
Désormais, elle en fait l’étendard de ses luttes.
Depuis son opération, elle n’a plus de tétons. À la place, s’y trouve une épaisse cicatrice qui parcourt chacun de ses deux seins.
Ses photos seins nus ainsi dépourvues de mamelons ne sont pas censurées par l’algorithme Instagram et suscitent bien moins d’indignation. Sans cette boule chair contrastante, pas de censure nécessaire.
Cela ne devrait-il pas démontrer l’incongruité de la censure habituelle des poitrines féminines?
« La censure des tétons identifiés comme féminins est stupide et enracinée dans la tradition patriarcale », déclare-t-elle.
Cela a le mérite d’être clair.
Une sexualité saine et épanouissante passe par l’éducation et la communication
Ah, les cours d’éducation sexuelle ! Quelques heures de cours disséminées ça et là durant la scolarité secondaire : entre cours magistraux sur la reproduction des mammifères et timides débats autour de la contraception et de la prévention des risques.
Rien de bien fulgurant pour ma part, dans mes petits collèges et lycées de province. Et je fais pourtant partie des plus chanceux à en croire les témoignages autour de moi !
Ericka Hart a grandi dans le Maryland. Les cours d’éducation sexuelle dispensés dans l’établissement qu’elle fréquentait se limitaient à une injonction à l’abstinence.
« Pas de relations sexuelles ». Et c’est tout.
Quand elle demandait pourquoi ne fallait-il pas avoir de relations sexuelles, on lui répondait simplement « c’est comme ça ».
Preuve de la redoutable efficacité de ce type d’éducation : plusieurs de ses camarades ont contracté des maladies sexuellement transmissibles, ou ont eu des grossesses non-désirées à l’adolescence.
Ayant la chance d’avoir pu être informée à ce propos par ses parents, elle a commencé à propager la bonne parole en brieffant ses amies sur les règles d’une sexualité saine et sans risque.
Cette vocation l’a amenée à devenir prof d’éducation sexuelle auprès de lycéens en Ethiopie : « j’ai travaillé avec des personnes de tous les âges mais j’ai commencé au lycée. J’adore le collège. j’ai travaillé à l’école primaire. Je pense que cet enseignement devrait juste être accessible à tout le monde ».
Plus tard, durant son traitement contre le cancer, elle s’aperçoit du manque de prise en considération de la sexualité dans la santé des patients. Elle déclare avoir du remplir des tonnes de formulaires, indiquant des informations sur l’intégralité de sa vie, mais rien au sujet de la sexualité. Les répercussions du traitement sur la vie sexuelle n’étaient pas plus un sujet.
Dépression, perte de cheveux : oui.
Sexe : non.
Pourtant, sa libido a drastiquement chuté durant la chimio, tandis qu’elle faisait l’objet de sécheresses vaginales. Dans le même temps, elle étudiait dans le cadre d’un programme de Master sur la sexualité (« Human sexuality »), ce qui l’a incitée à approfondir la question des liens entre sexualité et cancer.
Plus largement, Ericka milite pour le dialogue sur la sexualité : sur les bancs de l’école, avec les professionnels de santé, mais aussi et avant-tout entre partenaires.
Communiquer, exprimer ses désirs, ce que l’on veut te ce que l’on ne veut pas, pour sa santé, sa sécurité et celles de nos partenaires : « C’est ok de dire non, c’est aussi ok de ne pas avoir de désir sexuel, mais également de ne pas avoir d’explication sur le pourquoi il n’y a pas ce désir ».
De l’importance de l’intersectionnalité
Ericka Hart s’inscrit dans la lignée de Kimberlé Crenshaw, théoricienne du concept de l’intersectionnalité, mettant en lumière le fait que les femmes noires sont victimes de discriminations cumulatives, et que, plus largement, les « handicaps » sociaux se superposent et se renforcent*.
Par exemple, une femme noire lesbienne ne sera pas affectée par le racisme comme un homme noir, ou par le sexisme de la même manière une femme blanche.
Ericka rappelle l’importance dans son parcours de sa condition de personne noire, mais également de personne Queer – et atteinte d’une maladie chronique.
« Je dirais que je voulais voir se créer des ponts entre l’identité raciale, le genre et le sexe. Et j’avais souvent l’impression que quand les gens parlaient de sexe, ils n’en parlaient pas en prenant en considération l’origine raciale, ils n’en parlaient qu’en termes de classe, ils n’en parlaient pas selon le fait d’avoir un corps valide ou handicapé. Et je dirais qu’en tant que femme [en français dans la version originale] noire et queer, et plus tard dans ma vie en étant diagnostiquée avec un cancer du sein, le sexe est différent pour moi. La façon dont j’en fais l’expérience, le message que reçois concernant mon corps m’impacte a niveau de ma vie sexuelle », a-t-elle pu déclarer au Huffington Post.
C’est pourquoi Ericka Hart a fait de la représentation des personnes noires et queer un de ses chevaux de bataille.
De l’importance de la représentation
À l’annonce du diagnostic de sa maladie, Ericka s’est sentie très seule : « Quand arrive le mois d’octobre [mois de sensibilisation à la lutte contre le cancer du sein], tout n’est que rubans, rose, et blanc ». Elle a le sentiment que les personnes noires sont invisibles dans la lutte contre le cancer du sein.
Et pourtant.
Aux Etats-Unis, les femmes noires meurent plus rapidement du cancer du sein que les femmes blanches, et cela peut être partiellement attribué au manque d’information des femmes noires concernant le cancer, qui ne se sentiraient pas concernées par les campagnes de sensibilisation.
Durant son traitement, elle a demandé à voir des photos de personnes noires qui avaient vécu une double mastectomie avec reconstruction, pour savoir à quoi ressembleraient son corps et ses cicatrices après cette opération.
Résultat : 1 photo. Contre des centaines de photos de femmes blanches que l’on trouve facilement sur internet.
Cela pourrait sembler bien anodin, cette histoire de photos. Mais pour Ericka, s’identifier à d’autres personnes atteintes d’un cancer, à travers leur image, aurait été d’un grand soutien.
« J’étais juste fatiguée. Fatiguée de ne pas me reconnaître dans quelque chose d’aussi simple, ou d’aussi important que le cancer du sein », a-t-elle exprimé ; avant d’ajouter : « Et j’étais fatiguée de ne pas me reconnaître dans l’éducation sexuelle, fatiguée de ne pas me reconnaître dans les universités, les espaces de travail, donc une grande partie de mon activisme topless ne consistait pas juste à montrer mes cicatrices du cancer du sein, c’était aussi un moyen de m’intégrer dans un système narratif duquel j’ai souvent été effacée ».
Rester positive quelles que soient les circonstances
Un autre élément important dans le parcours d’Ericka Hart est sa capacité à tirer des enseignements positifs d’expériences douloureuses, et de conserver une certaine joie de vivre, même dans les instants les plus éprouvants.
Ericka a notamment confié, au sujet de sa double mastectomie, que ce n’était pas « la pire chose possible » pour elle, et qu’elle tentait au maximum de rester « cool » durant son traitement. Lorsqu’on lui a demandé peu de temps avant son passage au blog opératoire quelle opération allait-elle subir, elle ne manqua pas d’humour pour répondre : « Boobjob » – expression communément utilisée pour parler d’augmentation mammaire.
Et quant au fait de devoir s’adapter à sa nouvelle poitrine et d’avoir perdu beaucoup de sensibilité au niveau des seins, elle déclare qu’elle préfère explorer de nouvelles sensations plutôt que de se lamenter de la perte d’une zone érogène.
Finalement, elle évoque sa maladie comme le moyen de mettre en lumière des éléments dysfonctionnels dans sa vie, notamment certaines micro-agressions qu’elle ne voulait plus subir dans sa vie amoureuse.
En novembre 2014, elle a voulu se joindre aux manifestations contre les violences policières à la suite du meurtre de Tamir Rice – un garçon noir de 12 ans abattu par la police.
Alors qu’elle cherchait à se rendre à Cleveland afin d’y participer, sa compagne lui a fait savoir qu’elle ne comprenait pas pourquoi cela lui tenait tant à coeur.
Cet épisode signa la fin de leur relation, et un véritable élan pour Ericka dans son combat contre le racisme et pour la justice sociale.
Un mal pour un bien, en somme.
Croire en soi
Finalement, malgré une société qui a trop souvent tendance à invisibiliser ses minorités, Erica a su faire de ses différences une force, et s’emploie à aider ses adelphes à croire en eux.
Les mots ont un impact sur la confiance en soi, ainsi déplore-t-elle de ne pas avoir plus souvent entendu que « Black is beautiful ».
À la question « que dirais-tu à une jeune fille noire queer qui a l’impression qu’il n’y a de place pour elle nulle part? », elle répond :
« Ce que tu crois de toi et ce que tu ressens est valide et réel, et ce que tu vois dans le miroir, tu ne dois pas le voir comme beau ou moche, comme imparfait ou parfait ou quoi que ce soit, mais simplement te voir toi et affirmer ce que tu vois ».
Lila
* Définition de « queer » (Wikipédia) : « Queer est un mot anglais signifiant « étrange », « peu commun », « bizarre » ou « tordu », il est utilisé pour désigner l’ensemble des minorités sexuelles et de genres : personnes ayant une sexualité ou une identité de genre différentes à l’hétérosexualité ou la cisidentité ».
*Plus d’infos sur l’intersectionnalité : https://lesglorieuses.fr/intersectionnalite/?v=11aedd0e4327 ; mais également : https://www.cairn.info/revue-diogene-2009-1-page-70.html
Sources
https://www.huffpost.com/entry/hbm-ericka-hart_n_5c3f4ce4e4b0e0baf5436b3b
« A Smart Sex Life Starts with Talking About It | Teen Vogue », sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=xZLvQ00E8WA
« S2 #4: Surviving Racism & Cancer as a Queer Woman », First Person, sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=WzYx-c0nUvs
« Ericka Hart – I Am Beautiful | Episode 5 | Cosmopolitan », sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=FGew09N72H0
Plus d’infos concernant Ericka Hart sur : http://ihartericka.com/
Image d’accueil : @roseenglandlondon (Instagram)